La rencontre avec la madré
- Isayä Shamanka
- 12 mai
- 3 min de lecture

Nihue Rao – Le commencement
J ai enfin réservé mon vol.Et depuis… je ne dors plus.
Cela fait trois nuits que je suis tenue éveillée par une peur viscérale. Quelque chose d’immense s’apprête à s’ouvrir, et mon corps, mon mental, mon cœur s’agitent dans tous les sens.Demain, je m’envole pour le Pérou, pour ma toute première dieta dans un centre shamanique Shipibo.
Je me souviens de ce reportage de Jan Kounen, vu des années plus tôt. Ce qui m’avait profondément marquée, ce sont ces chants, les icaros, qui résonnaient comme une langue oubliée que mon âme reconnaissait.Depuis, ils m’habitent.
À l’atterrissage, j’ai deux jours avant la première cérémonie. Deux jours de vertige, de tempêtes intérieures.Je suis sans dessus dessous, confrontée à mes peurs les plus archaïques.Je tourne en rond, incapable de trouver le silence ou l’isolement que demande la diète. Je cherche désespérément la présence des autres dièteurs, comme un radeau dans la tourmente.
Les facilitateurs tentent de me rassurer :« Tu es un cas extrême. Mais Ricardo aime ça. Il adore les challenges. »Moi qui pensais avoir "déjà fait le travail" après toutes mes années de thérapie, je réalise que je ne suis qu’au seuil…

Le soir venu, une nouvelle médecine a été cuisinée — plus puissante, plus concentrée que d’habitude.Tout le monde part loin. Les voyages sont intenses.Moi, je ne prends que la moitié de la dose. Juste ça… et pourtant.
Elle est là.
Elle balaye mon corps, comme un souffle brûlant, un serpent ondulant de mes pieds à ma tête.Elle m’enveloppe. Elle m’engloutit. Je ressens des mouvements internes, une chaleur vive, une peur sourde qui m’envahit. J’ai envie de vomir. Je tremble.
Et c’est là que je dois me lever.C’est l’heure de recevoir mon premier icaro.
Je m’assois face au chaman. Et lorsqu’il commence à chanter… tout remonte.Je me souviens.Je reconnais.
Ces chants, je les connais depuis toujours.Ce monde, je l’ai déjà foulé.Même sans les visions, je suis chez moi.
C’est comme si l’ayahuasca m’avait ramenée à l’origine de mon âme.Je ressens une émotion d’une profondeur que je ne peux nommer. Quelque chose me traverse, me bouleverse, me révèle.Je retourne sur mon matelas en larmes, perdue dans des questionnements existentiels.
Mais le chemin n’est pas tendre.Autour de moi, le silence. Le respect. L’introspection.Et moi, l’intruse, qui cherche encore à parler, à m’accrocher à quelque chose.Tout en moi veut fuir l’angoisse, la dissoudre par le lien humain.
Je diète Oje, l’arbre des racines profondes, celui qui vient déraciner les toxines, les dépendances.Il est fort. Brutal. Pur.Il est venu pour m’aider à rompre avec la Marie-Jeanne, cette compagne fidèle et destructrice avec qui j’ai lutté pendant plus de 10 ans.
Séance après séance, icaro après icaro, je sens que je m’allège.Quelque chose se libère.Mais tout va trop vite.Six cérémonies, et il est déjà l’heure de rentrer.
Le chaman chante un dernier icaro de clôture, nettoie les entités… mais oublie de sceller ma dieta.Je repars ouverte. Non refermée.Et sans le savoir, cela va me hanter pendant des mois.
Je ne retoucherai plus jamais au cannabis.Le lien est rompu. Définitivement.
Mais pendant un an, je vis dans un épuisement profond, comme si quelque chose continuait de tirer sur mes énergies, de me siphonner.Je dors tout le temps.Je crois que c’est le sevrage… jusqu’à ce que je comprenne : ma dieta non refermée m’a laissée vulnérable.

Et pourtant… malgré la rudesse du processus, malgré les peurs, malgré le chaos intérieur…Quelque chose en moi appelle à y retourner.
Mon âme sait.Elle sait que ce chemin ne fait que commencer. Que la première dieta n’a fait qu’effleurer la prison dans laquelle je vis depuis toujours
Et qu’au fond de cette peur, il y a une lumière.
Un feu sacré.
Celui de la guérison.
Celui de la vérité.
Je suis prête à replonger dans ce mystère.À répondre à l’appel.À suivre la voie chamanique, même si elle me brûle.
Parce qu’au cœur de cette brûlure…je retrouve ma maison.
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